Le protectionnisme israélien relatif aux données à caractère financier à l’épreuve de la lutte pour la transparence internationale en matière fiscale
En France, la Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière renforce considérablement les moyens des administrations fiscales et douanières, de la police et de la justice, dans leur lutte contre les fraudeurs et en particulier les contribuables détenant des avoirs non déclarés à l’étranger. La solution des demandes rectificatives des contribuables détenant des avoirs à l’étranger traitées par la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF), permettant de se voir réduire la majoration pour manquement délibéré et l’amende pour défaut de déclaration des avoirs à l’étranger dans le cadre des dispositions du 3°de l’article 247 du Livre des Procédures fiscale a fait place à l’application de sanctions fiscales dont la sévérité a été accrue. Parallèlement à ce durcissement de la lutte contre la fraude fiscale en France, devenu plus globalement un enjeu actuel majeur de l’OCDE, la politique internationale sur l’échange de données à caractère fiscal a été adoptée par la Knesset en Israël et, a fait tomber la dernière barrière à la transparence internationale en matière fiscale s’agissant seulement des Etats ayant conclu avec Israël une convention bilatérale.
Face à ces nouveaux risques fiscaux, le Cabinet Abitbol & Associés, spécialisé en fiscalité internationale, a souhaité apporter un éclairage sur l’impact de ces changements.
I. Lutte contre la fraude fiscale entre la France et Israël : vers un échange automatique d’information en matière fiscale ?
En application de la Privacy protection law, la loi sur la protection de la vie privée de 1981, tout recueil d’informations à caractère personnel en Israël requiert le consentement de la personne concernée. Cette loi ne vise pas spécifiquement les informations bancaires mais son application a été étendue par la jurisprudence des tribunaux israéliens aux comptes bancaires personnels.
Cependant, dans le cadre de la lutte conte la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, cette loi a tendance à s’effacer devant d’autres normes juridiques susceptibles d’être mobilisées pour fonder la communication d’informations, par les autorités israéliennes, aux autorités d’un pays tiers.
Cet échange d’informations peut prendre appui sur la Convention fiscale franco-israélienne, et plus particulièrement dans son article 26 Echange de renseignements, inspiré du Modèle élaboré par l’OCDE et reprenant les standards reconnus par l’ensemble de ses membres en matière de transparence et d’échange de renseignements en matière fiscale.
« Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente Convention, ou celles de la législation interne des Etats contractants relative aux impôts visés par la Convention, dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à la Convention. »
Notons que c’est une clause à portée limitée qui est aujourd’hui en vigueur entre la France et Israël, dans la mesure où le partage d’informations est restreint aux « renseignements nécessaires », faisant ressortir le critère de la pertinence de l’information échangée au regard du but recherché, lequel étant l’application de la convention fiscale ou de la législation interne de l’état demandeur.
Cependant, il n’est pas fait de distinction quant à la nature de l’information susceptible d’être échangée, et celle-ci peut donc tout à fait être une donnée bancaire ou encore une donnée détenue par un agent fiduciaire dans le cadre d’un trust constitué par un français en Israël.
Jusqu’au dernier trimestre 2013, ce type de clause portant sur l’échange bilatéral d’informations quelle que soit leur nature ne pouvait cependant exister que dans la mesure où elle se rattachait à une convention fiscale à l’application de laquelle elle participait. Autrement dit, l’engagement d’Israël d’échanger certaines informations n’est pas (ou n’était pas) un engagement à caractère autonome et général, il doit (ou devait) impérativement s’inscrire dans un cadre conventionnel particulier.
Cependant, les temps changent et les habitudes aussi. L’engouement mondial en faveur d’une recherche accrue de transparence en matière fiscale n’a pas épargné la terre d’Israël, et il semblerait que certaines évolutions soient à prévoir.
Dans un premier temps, murit le projet, dans le cadre de l’OCDE de la standardisation de l’échange automatique d’information en matière fiscale entre les pays, autrement connu sous le nom de routine exchange.
En effet, l’année 2013 a été un terrain fertile pour l’échange automatique de données, et y compris des données bancaires. L’OCDE à travers les travaux du forum mondial a fait de cette question le nouvel enjeu essentiel, en termes de lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent, de ces prochaines années.
La marge de manœuvre que s’était autrefois réservée Israël en la matière a aujourd’hui vocation à disparaitre et l’évolution est en marche. Il semblerait en effet que la Knesset soit en cours de révision de l’article 196 de la Tax Income Ordinance 1961, lequel s’emploie précisément à limiter la portée des engagements israéliens potentiels en matière d’échange d’informations. La modification de cet article ferait tomber la dernière barrière à un engagement radical en faveur de la transparence en matière fiscale, autorisant alors Israël à s’engager internationalement dans le cadre d’une convention ayant exclusivement pour objet d’organiser l’échange automatique d’informations en matière fiscale
Qui plus est, les recommandations de l’OCDE sur Israël énoncées dans ses études économiques publiées en décembre 2013 montrent qu’Israël est aujourd’hui engagé dans un processus de normalisation semblable à celui que la Suisse a connu, processus qui, rappelons-le, a conduit à l’abandon du secret bancaire. Voici ce que préconise l’OCDE : « les autorités (israéliennes) devraient se fixer pour principe général de chercher en priorité à accroître les recettes en luttant contre la fraude fiscale et les stratégies agressives d’évasion fiscale ».
Ainsi, dans une échéance proche qui ne peut toutefois à ce jour être clairement déterminée, Israël pourrait adhérer à la politique mondiale de transmission systématique et régulière au pays de résidence par le pays de la source, d’un large volume de renseignements concernant des contribuables.
II. La coopération fiscale renforcée entre la France et Israël : une réalité encore en devenir
Sur le point de savoir si les autorités compétentes israéliennes devraient avoir le pouvoir d’obtenir et de fournir les informations objet d’une demande dans le cadre d’un échange d’information au sujet de n’importe quel organe se situant dans leur juridiction territoriale possédant ou contrant de telles informations, l’OCDE a considéré que les pouvoirs des autorités israéliennes compétentes aux fins d’obtenir des informations au sujet de nouveaux immigrants, des résidents israéliens revenant au pays notamment s’agissant de leur source de revenu étranger étaient inadéquates.
Est-ce à dire que certaines autorités israéliennes et certaines banques israéliennes (excepté celles qui ont signé un accord avec les Etats-Unis) pourraient encore ne pas jouer le jeu de la transparence et, choisiraient de suivre la jurisprudence israélienne en la matière qui défend le secret bancaire ?
Ce droit au secret bancaire pourra t il être opposé à l’administration fiscale française laquelle bénéficie d’un « droit de communication » (LPF, art. L. 81 à L. 102 AA) qui consiste surtout en un devoir pour ses interlocuteurs et lui permettant de recueillir, de manière ponctuelle et relativement informelle, certaines informations ou documents relatifs à un contribuable et, dont l’expression dans la sphère internationale est l’application de l’article 26 de la Convention fiscale franco-israélienne précité ?
Seule la jurisprudence israélienne à venir nous permettra de résoudre cette question.
En tout état de cause, l’administration fiscale française poursuivra, à chaque fois quelle sera mise en mesure de le faire, sur le fondement des articles 1727 à 1730 du Code des Impôts les contribuables fraudeurs. Notamment, la sanction prévue en cas de dépôt d’une déclaration de patrimoine (pour l’imposition à l’impôt de solidarité sur la fortune [ISF]) à la suite de la révélation d’avoirs à l’étranger non déclarés. est portée à 40 % de l’imposition éludée (CGI, art. 1728, 5), là où, jusqu’alors, une telle déclaration était seulement considérée comme une souscription tardive de déclaration d’ISF punie d’une majoration de 10 %, sur le fondement de l’article 1728, 1, du CGI.
A cet effet, et c’en est le corollaire, il ne faut pas oublier que dans le modèle fourni par l’OCDE duquel découle la convention franco-israélienne a été rajouté un article 27 qui a pour finalité de faciliter le recouvrement de l’impôt par la France dans le pays étranger en recourant aux services fiscaux du pays étranger.
Pour l’heure, il n’est pas possible de savoir si la France et Israël ont décidé d’ajouter un avenant à la présente convention. L’hypothèse ne doit pas être écartée pour les raisons suivantes :
La convention franco-israélienne date de 1995 – depuis cette date, crise financière et informatisation accrue des services ont justifié le recours à l’article 26 précité qui faisait auparavant figure de clause de style ;
Chaque Etat est libre de dénoncer la convention s’il estime que la coopération administrative ou les dispositions en vigueur sont devenues inadéquates – or ce risque de dénonciation n’est pas acceptable ;
L’OCDE dispose aujourd’hui d’une arme redoutable pour contraindre les Etats à se conformer aux exigences de transparence : la menace de classer le pays dans la liste des paradis fiscaux et de rendre ainsi dissuasive la fiscalité des opérations transfrontières entre les pays.
Pour l’heure, il n’est pas possible non plus de savoir si les autorités françaises ont demandé des renseignements aux autorités israéliennes. Tout cela relève de procédures qui n’ont pas vocation à être communiquées en raison d’une part de la recherche d’effet de surprise, d’autre part du risque d’atteinte à la vie privée des contribuables. Bref, tant qu’il n’y a pas de contentieux et donc de solutions rendues par les tribunaux sur le sujet, il ne reste qu’à se fier aux témoignages des personnes qui font face à un contrôle fiscal.
III. Lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent entre la France et Israël: la question de la coopération des banques
Reste la question de la coopération des banques : l’exemple suisse a montré qu’une tradition multiséculaire pouvait être balayée en 5 ans. Les banques suisses ont envoyé des lettres à leurs clients les sommant de clarifier leur situation, faute de quoi elles se réservaient la possibilité de les dénoncer. Apparemment, nous nous orienterions vers une voie semblable en Israël. Les banques israéliennes commencent en effet à être beaucoup plus regardantes sur les dépôts en liquide, surtout s’ils sont effectués par une personne qui n’est pas le titulaire du compte. Elles n’excluent pas également d’adopter une procédure semblable à celle utilisée par les banques suisses. Voici ce que l’on peut trouver dans le formulaire remis aux clients résidant dans un des pays membres de l’Union européenne par une des plus grandes banques israéliennes :
« Je consens par le présent formulaire à ce que la banque puisse, sur demande de l’autorité compétente en Israël et/ou à l’étranger, divulguer aux autorités fiscales compétentes du pays de l’Union :
Dans le cas où le soussigné possède un lien avec un des pays membres de l’Union européenne ou s’il s’agit d’une société détenue par un Européen – tous les documents et/ou informations relatives à des comptes gérés et/ou détenus à mon nom et/ou qui seront gérés et/ou détenus à mon nom par la banque à tout moment et dans l’avenir. Je renonce également au droit découlant d’une loi et/ou d’un contrat et/ou autres à la confidentialité des informations et/ou documents en question ».
Car, il ne s’agit pas uniquement de savoir s’il y a de l’argent non déclaré sur des comptes. Il s’agit également de renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent, étant entendu que, depuis une jurisprudence datant de 2006, l’utilisation de sommes d’argent non déclarées peut être constitutive de l’infraction de blanchiment.
Autrement dit, nous rentrons dans une nouvelle ère où la réalisation d’affaires en Israël implique toujours davantage le recours à un avocat pour se démêler tant du droit israélien que des liens qui se nouent avec la France. Pour citer une dernière fois le rapport OCDE sur Israël, les entreprises israéliennes passent en moyenne 235 heures par an pour régler leurs affaires avec l’administration fiscale. La possibilité toutefois d’un accompagnement juridique, l’obtention d’un « ruling », soit une décision en amont obtenue à la demande du contribuable, constituent ici des atouts à ne pas négliger.