Se marier en France, Divorcer en Israel

Posted by on juin 28, 2020 in Alyah Israel, Blog, Divorce Israel-France

Se marier en France, Divorcer en Israel 1

Se marier en France, Divorcer en Israël

Dr Debborah ABITBOL, avocate[1]

Me Jonathan KANIR, avocat[2]

 

Au cours des deux dernières décennies, une nouvelle réalité juridique s’est développée et pour laquelle de nombreux couples francophones ont décidé d’immigrer en Israël afin d’y établir leur foyer, sans toutefois avoir une connaissance précise du droit applicable à leur situation matrimoniale.

Le présent article tendra à mettre en exergue les modalités d’application du droit français de la famille conjuguées à la procédure applicable selon le droit israélien dans le cas d’un couple ayant immigré depuis la France vers Israël et dont la situation pourrait nécessiter un accompagnement juridique circonstancié en période de crise conjugale.

Cas du contrat de mariage signé entre les époux en France :

En 1999, Solange et Jacques se sont mariés civilement en France.

Préalablement à leur union, ils ont signé un contrat par-devant notaire en France et ont opté pour un régime de séparation de biens conforme à la loi française et applicable aux relations pécuniaires entre époux.[3]

Ledit régime séparatiste se définit selon la loi française comme étant un régime matrimonial contractuel caractérisé par la séparation des biens entre le couple et la liberté totale dont chaque époux dispose dans la gestion de ses biens propres à l’exception du domicile familial.

Ainsi, chaque conjoint conserve la propriété, la gestion et la jouissance des biens lui appartenant à la date de la signature du contrat, y compris les biens à recevoir durant toute la période du mariage, sans égard à la manière dont ils sont acquis, de sorte que le droit de propriété est exclusif au conjoint.

Dans notre cas d’espèce, 3 enfants sont nés de l’union entre Solange et Jacques.

Cette dernière, architecte d’intérieur de profession, n’a pas travaillé et ce, durant la majeure partie du mariage, à la demande de son mari afin de se consacrer à l’éducation des enfants, alors que son conjoint, Jacques a pu développer ses activités professionnelles et a ainsi amassé un capital conséquent pendant les années du mariage, lequel a été principalement enregistré en son nom propre ou par détention de titres au sein d’entreprises dont il détient la propriété.

Il y a environ 7 ans, le couple a décidé d’immigrer en Israël et continue à gérer un ménage commun, Solange est restée tributaire des moyens de subsistance de son mari et continue à élever et éduquer ses enfants de manière exemplaire.

Durant leurs années de mariage, le couple a acquis des biens en France (immobiliers, sociétés et investissements) –tous enregistrés au nom exclusif de Jacques, mais également deux propriétés en Israël – une résidence inscrite à parts égales au nom des parties, étant précisé que Jacques a été le seul à apporter l’ensemble des fonds nécessaires à son financement, et un second bien d’investissement, loué à un tiers, que Jacques a acheté avec ses fonds propres et qu’il a décidé d’inscrire au nom de son épouse uniquement.

Par la suite, il a été constaté une détérioration significative de leurs relations conjugales après 20 ans de mariage (dont 13 ans en France et 7 ans en Israël), partant Solange a déposé une requête près le tribunal aux affaires familiales, pendant que Jacques dans l’intervalle sollicitait une demande de divorce près le tribunal rabbinique en Israël.

Première étape: la problématique de l’applicabilité du contrat de séparation de biens signé en France

En première instance, le tribunal a été invité à se prononcer sur l’applicabilité dudit contrat de séparation signé entre le couple et de ses répercussions quant à la dissolution du mariage, du partage et de la distribution des biens de Jacques et Solange, tant en France qu’en Israël.

A ce stade, il pourra être observé des erreurs d’interprétations quant à la mise en application du droit israélien et du droit français.

En effet, la majorité des avocats israéliens appliquent de manière erronée  la loi israélienne en optant, pour leurs clients, pour une stratégie visant a faire fi de  l’exécution du contrat de séparation de bien rédigé, signé et approuvé par devant notaire en France et ainsi favorisant l’application “simple” du droit israélien, sans aucune référence au droit international privé et les principes des règles de renvoi.

Conformément à la loi israélienne régissant les relations pécuniaires entre époux, la loi applicable sera la loi du lieu de résidence des conjoints au moment du mariage[4], conformément aux dispositions de la Convention de La Haye de 1978 sur les régimes de matrimoniaux  (ci-après: la “Convention de La Haye“)[5].

De manière générale, les époux qui contractent mariage en France sont libres d’opter pour un régime matrimonial et ce avant ou pendant le mariage.

Dans le cas où le couple n’aurait pas choisi de régime spécifique, la base juridique applicable à leur relation matrimoniale sera le régime général, plus connu en France sous le nom de Régime de droit commun.

La Convention de La Haye stipule également que les conjoints qui se sont mariés après 1992 peuvent se prévaloir de l’application de la loi de l’État dans lequel ils résident,  uniquement lorsqu’aucun contrat de mariage n’a été signé entre les époux[6].

Ainsi, dans le cas où un contrat de mariage serait conclu entre époux en France, la loi applicable à leur régime matrimonial demeurera  la loi française, quel que soit le changement de nationalité ou de résidence du couple pendant le mariage.

Dans notre cas, c’est le droit français qui s’appliquera sur le régime matrimonial des époux Solange et Jacques, mariés en France d’une part par application de l’article 15 de la loi israélienne sur les relations financières entre les époux, et d’autre part par application de la convention de la Haye de 1978.

Deuxième étape: quelle loi faire appliquer sur les biens situés en Israël selon la loi française?

Rappelons que Jacques et Solange ont acheté une résidence en Israël, laquelle a été enregistrée sous leurs deux noms et à parts égales, étant précisé que ledit bien immobilier a été financé uniquement par Jacques.

Il sera question de savoir quel droit faire appliquer à cette propriété ?

En Israël, la loi stipule que l’inscription d’un bien en copropriété, indépendamment du degré d’investissement de l’un d’entre eux dans son acquisition et de ses sources de financement, témoigne de leur intention de partager entre eux le bien immobilier à parts égales[7].

Cette détermination signifie le partage de propriété entre les époux,  selon les dispositions de la loi foncière israélienne, laquelle précise que l’inscription au registre cadastral constituera une preuve concluante de propriété[8].

Par ailleurs, la loi française distingue la propriété immobilière du financement immobilier.

Ainsi,  la propriété des biens immobiliers et des entreprises sera déterminée conformément à l’enregistrement – et jusqu’à présent, il n’y a pas de différence entre la loi en Israël et en France en matière de propriété et d’enregistrement.

Cependant, selon le régime de séparation de biens en France, si l’un des conjoints a financé l’achat du bien au-delà de sa part inscrite au Registre cadastral, il pourra déposer une demande de créance pour récupérer l’argent du financement[9].

Autrement dit, au moment de la répartition des biens, il peut être démontré que, malgré la part inscrite au registre, la propriété a été financée par un seul conjoint, qui peut donc demander une compensation financière au moment de la dissolution du régime matrimonial.

Jacques a-t-il droit au remboursement à 100% du financement de l’achat de la résidence ?

Répondre positivement à cette problématique, reviendrait à déposséder  Solange de la moitié des droits de la résidence.

L’intention du législateur français est tout autre, en effet la loi française prend en compte l’obligation du couple marié de contribuer aux charges du mariage et considère l’éducation des enfants, l’entretien et les besoins du ménage comme étant la contribution du conjoint qui n’a pu travailler[10].

Les contributions aux charges du mariage ne doivent pas être nécessairement sous forme de revenus, mais également par le biais de la participation aux différentes tâches ménagères, y compris l’entretien ménager, l’éducation et les soins aux enfants, etc.

C’est-à-dire que l’époux qui a acheté la maison familiale avec son argent propre et qui souhaite désormais prouver qu’il est le seul à avoir financé l’achat de la propriété compte tenu que son conjoint n’a pas travaillé, ne sera pas en mesure de réclamer le remboursement de son financement.

Troisième étape: le droit de propriété dans le cas de l’acquisition du bien immobilier  d’investissement

Un accord de séparation des biens a été signé en France entre les époux.

Soulignons que Jacques a librement souhaité inscrire son conjoint Solange, en qualité de propriétaire du bien, dès lors et selon  la loi israélienne, toute demande de reconnaissance de propriété sur ledit bien émanant de Jacques sera défavorablement accueillie[11].

Le droit français est plus spécifique en la matière, ainsi l’inscription du bien indique l’intention du couple et constitue une preuve de propriété.

De plus, lorsqu’il s’agit d’un actif à des fins commerciales, l’épouse pourra revendiquer une part de cet actif dans le cadre d’une action prévue aux articles 270 et suivants du Code Civil sous forme de prestation compensatoire, laquelle est destinée à compenser la différence du niveau de vie lié à la rupture du mariage.

Dans notre cas d’espèce, il n’y a pas lieu à s’interroger quant à la propriété, celle-ci appartenant à la personne inscrite sur les registres cadastraux.

La position jurisprudentielle a clairement précisé :

Le bien appartient à la personne dont le titre de propriété est enregistré à son nom, sans égard à son financement”

Cass Civ 1ere 23 janvier 2007 N° 05-14311

En Israël, la position du juge israélien reste inchangée, ainsi c’est l’enregistrement qui prévaut pour désigner la qualité de propriétaire et ce sans considération du financement du bien, de même l’immatriculation auprès des registre cadastraux israéliens constitue la preuve de propriété d’un bien immobilier.

Cependant, lorsque le bien est financé en totalité ou en majorité par un seul des deux conjoints et est enregistré au nom des deux, la jurisprudence est amenée à se prononcer.

La question qui se pose concerne la nature du financement: s’agit-il d’un don entre conjoints ou d’un prêt?

S’agissant d’un don fait pendant le mariage, il est présumé avoir été effectué de manière libre et irrévocable, conformément à l’article 1096 du Code civil français.

Pour qu’une créance puisse être réclamée, le financement doit être un prêt, et la charge de la preuve incombe au demandeur afin de justifier l’existence d’une dette au moyen d’un prêt.

 Les juges ont adopté une position constante en la matière, ainsi :

 « Ayant retenu à bon droit qu’un immeuble acquis par une épouse seule sous le régime de la séparation des biens constitue un bien personnel, une cour d’appel en déduit justement que l’époux pourra seulement obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition. ».

Cour de cassation, 23 janvier 2007 n ° 05-14311.

Quatrième étape: le mécanisme de prestation compensatoire

Solange a cessé de travailler environ trois ans après leur mariage, d’un consentement commun, elle a pris la décision de sacrifier sa carrière professionnelle pour se consacrer à l’éducation de ses enfants ainsi qu’à l’entretien et besoins de son ménage, permettant de ce fait à son conjoint Jacques de pourvoir se consacrer uniquement au développement de son activité professionnelle et notamment de ses entreprises.

Aussi et conformément à la loi française, même si un contrat de séparation de biens est signé, comme dans notre cas, lorsque intervient la dissolution du mariage, une disparité conséquente se créée entre le niveau de vie de la femme et celui du mari, ainsi le conjoint dont la diminution du niveau de vie sera la plus importante, se verra octroyer le versement d’une prestation compensatoire, laquelle sera calculée selon les critères fixés dans la législation et la jurisprudence françaises[12].

À l’instar de l’équilibrage des ressources en droit israélien, la prestation compensatoire entre dans le cadre de la relation pécuniaire entre les époux et est jugée dans le cadre du partage des biens, lors de la dissolution du régime matrimonial, à la demande de la partie éligible.

En l’absence d’accord entre les parties, le juge français déterminera le montant de l’indemnisation en prenant en compte notamment, de l’écart entre les revenus et le capital de chaque conjoint, la durée du mariage, l’âge et l’état de santé des époux, leur formation et leur statut professionnel, les conséquences de leurs choix professionnels respectifs sur l’éducation des enfants ou pour permettre et faciliter la carrière de l’autre conjoint ainsi que le capital des époux.

Il est important de noter qu’en droit français, la prestation compensatoire constitue un droit et ne dépend pas du régime matrimonial choisi par le couple – tant que les parties n’y ont pas renoncé expressément en vertu d’un accord de divorce, la partie lésée sera en droit de réclamer une prestation compensatoire.

Comment le mécanisme de prestation compensatoire est-il appliqué par les tribunaux israéliens?

Lorsqu’une partie souhaite faire appliquer le droit étranger dans une procédure judiciaire, il lui appartient d’en prouver la véracité au juge israélien notamment par le dépôt d’une expertise visant à prouver l’applicabilité de ce droit en Israël[13].

Ladite expertise sera rédigée après examen circonstancié de chaque cas et mettra en exergue l’application des dispositions de droit étranger.

En Israël, aucune décision explicite n’a encore été rendue concernant la prestation compensatoire, toutefois, les juges israéliens ont commencé à se positionner quant à la question de l’existence d’une dette entre époux dès lors que l’un d’eux a financé l’intégralité ou une partie du bien et l’a enregistré au nom de l’un et/ou des deux conjoints.

En l’état du droit actuel,  les juridictions israéliennes reconnaissent  la complexité de la problématique liée à la prestation compensatoire et recommande la conclusion d’un accord négocié entre époux, lequel sera homologué par le Tribunal.

Il est fort à parier que dans les années à venir le tribunal équilibrera l’exigence justifiée de la prestation compensatoire avec une nouvelle tendance qui permettra  aux époux, dans le cadre du régime de séparation des biens, le droit de déclarer l’existence d’une dette, à charge d’en apporter les éléments probants.

L’apport d’une expertise de droit français, permet au juge israélien d’examiner la pertinence de l’application de la loi française et de se déterminer quant à la demande de prestation compensatoire.

Conseils pour éviter les conflits de lois

Pour éviter tout écueil futur, il convient nécessairement de consulter un cabinet d’avocats spécialisé en droit international privé et français, à même de solutionner tout litige matrimonial entre époux.

De même, il est important de préciser que, conformément au droit français, il est tout à fait envisageable de modifier un régime matrimonial existant et d’opter pour un autre régime à tout moment pendant le mariage.

En outre, lorsque le couple acquiert une propriété en Israël, il est important de veiller à l’exécution du régime matrimonial préalablement choisi par les époux, lequel sera applicable en Israël en tant que jugement étranger.

Dans tous les cas, un avocat professionnel et expert dans ce domaine sera en mesure de fournir des conseils appropriés et spécifiques au cas par cas et de se conformer aux exigences respectives des époux.

De par sa spécialisation en droit international, le Cabinet Abitbol & Associés est en mesure d’intervenir dans tous les domaines du droit de la famille, notamment lorsqu’il existe un ou plusieurs éléments d’extranéité entre la France et Israël.

Abitbol & Associes mobilise systématiquement des équipes dédiées aux fins de diligenter la procédure en France ou en Israël.

Le Cabinet a développé une philosophie de résolutions des litiges axée en priorité sur la médiation et la conciliation des parties, convaincu que les protocoles d’accord transactionnels  -lorsque la situation rend cette voie possible- sont une alternative aux fins d’éviter de longues procédures, coûteuses et douloureuses humainement.

[1]  Docteur en droit international privé, experte en droit français et avocate en exercice en France et en Israël. Fondatrice du cabinet “Abitbol et associés” à Jérusalem, lequel accompagne ses clients dans le cadre de contentieux de divorces internationaux et soumet régulièrement auprès des tribunaux israéliens  des expertises afin de mettre en application le droit français dans le cadre du droit de la famille, de l’application des lois étrangères et des conventions internationales, de l’examen juridique comparatif, de la gestion de l’extradition, de la gestion des dossiers commerciaux internationaux ou encore de l’analyse du droit pénal international.
[2] Associé principal et fondateur de “Kanir et associés” – Cabinet d’avocats. Pratique le droit de la famille et le statut personnel depuis plus de 15 ans, et au fil des ans a acquis une connaissance juridique approfondie ainsi qu’une riche expérience en représentant des centaines d’affaires de haut niveau devant les tribunaux et tribunaux rabbiniques.
[3] Les articles 1387 – 1399, 1536 – 1548, 115 et 220 du Code de procédure civile français qui régit les règles des relations financières entre époux en droit français.
[4] Art. 15 de la loi sur les relations financières entre les époux, 5733-1973.
[5] Art. 3 de la Convention de La Haye.
[6] Art. 7 de la Convention de La Haye.
[7] Appel Civil 66/88 Tamar Decker c. Felix Decker, Meg (1) 122 (1989).
[8] Art. 125 de la loi sur l’immobilier, 5729-1969
[9] Art.1543 du Code civil français.
[10] Art. 214 du Code civil français.
[11] Appel Civil 384/88 Ariella Zisserman c. Dov Zisserman PD Meg (3) 205
[12] Art 270-271 du Code civil français.
[13] Haute Cour de Justice 4562/94 Abu Dhaka c. Tribunal militaire de Lod, PD Mah(4) 742; 10621/05 M. Y. N. M. A., p. 49 du jugement du juge Katz.

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